Simone Veil (1927-2017) : une grande dame, oratrice de talent, qui a su bousculer des tabous, à une époque où il était beaucoup moins facile qu’aujourd’hui de le faire.
Rescapée des camps de concentration nazis, Simone Veil donne son nom à la loi dépénalisant l’avortement, qu’elle défend avec panache lors de son discours mémorable du 26 novembre 1974 (cf extrait vidéo ci-dessous). Elle marque ainsi un tournant décisif dans l’Histoire des femmes. Grâce à elle, un vent de liberté a soufflé sur les mentalités d’une France conservatrice.
Cette grande charismatique, au style vestimentaire affirmé, est la première femme à présider le Parlement européen.
Bref historique qui aide à comprendre la femme qu’elle était :
Simone Annie Liline Jacob, dernière d’une fratrie de 4 enfants, voit le jour le 13 juillet 1927 à Nice, dans une famille d’intellectuels. Ses parents, juifs laïcs, ne donnent aucune éducation religieuse à leurs enfants. Cette jeune fille aux yeux de Jade se heurte souvent à son père, dont elle supporte mal l’autorité. Déjà, elle ne peut s’empêcher de contester ce qu’il essaie de lui imposer. En revanche, à sa mère, elle voue une admiration et un amour sans borne, et cherche à rester près d’elle le plus souvent possible.
Pendant la seconde guerre
En septembre 1943, Simone ne va plus en classe, la directrice du lycée craignant qu’elle y soit arrêtée. Simone prépare cependant le baccalauréat grâce aux professeurs qui corrigent ses devoirs transmis par ses anciennes camarades de classe. Le 29 mars, c’est sous sa véritable identité qu’elle le passe. Et c’est le lendemain, lors d’un contrôle d’identité dans la rue, que la Gestapo l’arrête, avec sa sœur et sa mère. De là, elles seront déportées toutes les 3, pour Auschwitz, le 13 avril.
Au mois de janvier 1945, l’armée soviétique approche de camps. Presque tous les déportés sont contraints de partir à pieds dans la neige. Cette longue marche laissera mourir beaucoup d’entre eux de froid et d’épuisement. La mère de Simone n’y résistera pas. Elle meurt d’épuisement et de typhus, un mois avant la libération du camp parles britanniques. Les deux sœurs rentreront sans leur mère. Simone ne s’en remettra jamais.
Très rapidement, elle choisit de faire des études
Se souvenant des recommandations de sa mère de faire des études pour “avoir un vrai métier”, elle commence dès octobre 1945 des études de Droit. Pour se faire, elle s’inscrit à l’Institut d’études politiques où elle rencontre Antoine Veil, avec qui elle se mariera, à l’âge de 19 ans, en octobre 1946. Tous deux continuent leurs études, en dépit de la naissance successive de leur 2 premiers enfants.
Diplômée de la faculté de droit et des sciences politiques, Mme Veil renonce à être avocate, et passe le concours de magistrature (Profession plus compatible avec l’éducation des enfants).
Puis, elle prend des responsabilités
Affectée à l’administration pénitentiaire, de 1957 à 1964, elle s’efforce, avec ses collègues, d’améliorer les conditions de vie parfois scandaleuses des détenus, dans un grand nombre de prison particulièrement vétustes.
Nommée à la direction des affaires civiles en 1964, elle participe aux réformes des droits de la famille et, est chargée de rédiger une loi renforçant les droits des parents adoptants.
Après un passage au cabinet du garde des Sceaux, René Pleven, et au conseil supérieur de la magistrature, en juillet 1974, Valery Giscard d’Estaing, qui vient d’être élu président de la république, la nomme ministre de la Santé.
Le 18 mars 2010, Simone Veil était intronisée à l’Académie française, sur un vibrant hommage de Jean d’Ormesson.
Une grande oratrice : un style et une élégance
Et c’est le 26 novembre 1974, il y a 44 ans, que cette femme de poigne s’illustre à la tribune de l’assemblée nationale, avec un projet de loi légalisant l’avortement, face à un parterre de députés à 97% masculin, .
Ses atouts : une posture d’humilité, patinée de fermeté, au service d’une « grande conviction ». Des armes redoutables pour désamorcer, phrase après phrase, le champ de mines qui s’ouvrait devant elle.
Dans un contexte très sensible
Droite et élégante, comme toujours. C’est une femme sobre, posée et humble qui se présente dans l’hémicycle ce mardi 26 novembre 1974.
Et pourtant… Simone Veil, encore peu connue des Français est à 47 ans, seulement la deuxième femme ministre qu’ait connu un gouvernement. Ministre de la Santé depuis 6 mois, rescapée des camps de la mort, elle vient ici, face à une assemblée masculine à plus de 97%, défendre un bien contesté projet de loi légalisant l’avortement.
C’est une sorte de bombe dans un hémicycle conservateur, face à sa majorité elle-même opposée à ce projet. Elle reçoit toutefois quelques soutiens stratégiques qui pèsent dans la balance. Mais rien n’est acquis pour autant!
Une mission hautement périlleuse que lui a confiée le jeune président Valéry Giscard d’Estaing. L’heure est grave, elle le sait.
Comme vous pouvez le constater sur cette vidéo, Simone Veil aborde cet instant avec une grande solennité, les deux mains posées à plat sur le pupitre, consciente que chacun des mots qu’elle emploiera pourrait à tout instant se retourner contre ce projet qu’elle tient tant à faire adopter.
Une grande humilité pour un discours de conviction
Je vous propose d’analyser les grandes lignes de ce discours mémorable, afin d’en comprendre toute sa force. Un discours remarquable, qui au delà de soulever un sujet brûlant, mêle avec brio, une efficacité de fond ET de forme.
« Si j’interviens aujourd’hui […] croyez bien que c’est avec un profond sentiment d’humilité devant la difficulté du problème, comme devant l’ampleur des résonances qu’il suscite au plus intime de chacun des Français […]. Je le dis aujourd’hui avec toute ma conviction, l’avortement dois rester une exception, l’ultime recours pour des situations sans issues (…) ».
« Humilité » et « conviction » : deux termes clefs qu’elle emploie ici sciemment :
- « Humilité », telle est la posture qu’elle s’efforce d’adopter, pour éviter d’apparaître comme une de ces « furies » féministes. N’oublions pas que nous sommes en 1974, quelques années plus tôt, le Nouvel Observateur publiait « Le manifeste des 343 salopes », avouant s’être faites avorter.
Simone Veil sait qu’elle doit absolument se démarquer de celles qui revendiquent, avec agressivité, le droit de disposer de leur corps comme elles l’entendant. - «Conviction », parce que son humilité n’est adoptée que pour servir son intime conviction, qu’elle livrera à point nommé, après avoir battu en brèche, une à une les objections qu’on lui oppose.
Elle ose sa légitimité de femme et devient une oratrice qui marque !
C’est en tant que femme, qu’elle s’exprime quasiment d’emblée. Cela pourrait choquer car, elle s’excuse de laisser parler l’appartenance à « son sexe », comme on l’aurait dit au 18ème siècle ! Toutefois, n’est-ce pas là, en réalité, une stratégie ?
Une stratégie d’humilité pour légitimer ses propos, autant que sa posture ? Et ainsi, attirer particulièrement l’attention de son auditoire à 97% masculin ?
« Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme –je m’excuse de le faire devant cette assemblée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame ».
Elle amène là une rupture de rythme : cette phrase courte tombe comme un couperet avec en prime un effet de répétition. Simone Veil vient enfin de livrer son intime conviction : l’avortement est un drame, à l’opposé du soupçon « d’avortement de convenance » que brandissent ses opposants.
Une loi pour l’Histoire
Pour conclure, toujours avec style, Simone Veil s’élève : « L’histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent, avec le recul du temps, comme une étape nécessaire à la formation d’un nouveau consensus social, qui s’inscrit dans la tradition de la tolérance et de mesure de notre pays ».
Avec ces quelques phrases, elle se place là dans “l’après”… Après le vote de sa loi, comme si l’adoption de celle-ci était incontournable : « Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir », ajoute-t-elle, comme pour informer qu’elle ne craint pas non plus les débats qui vont suivre. C’est enfin avec audace et un certain lyrisme qu’elle lance sa dernière phrase : « Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu’elles diffèrent de nous […]. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême ». Belle idée de finir la présentation de cette loi par un vibrant hommage à la « valeur suprême de la vie ». Il fallait oser. Elle l’a fait et avec talent, ce qui fait que ça passe.
Une loi votée grâce à sa persévérance
Malgré toutes ses précautions oratoires, Simone Veil affrontera pendant 3 jours, les diatribes de 74 orateurs, dont certains d’une très grande violence. Pourtant, au petit matin du 29 novembre, la « loi Veil » sera finalement adoptée par 284 voix contre 189.
La dame en chemisier bleu, face à une mer sombre de complets trois pièces, est entrée dans l’Histoire.
BRAVO Madame Simone Veil ! Et merci….
Mes conseils pour impacter et convaincre :
Comme je vous en parlais dans mon article précédent sur les “différentes manières d’introduire un discours“, je vous propose de :
- Commencez vos discours par exposer le pourquoi de votre action. Ce pourquoi doit être basé sur des informations factuelles qu’il est difficile, voire impossible, de remettre en question.
- Trouvez le juste équilibre entre le registre factuel et le registre émotionnel (pour toucher l’auditoire)
- Pratiquez l’auto-questionnement afin de montrer que vous avez réfléchi au sujet et que vous apportez des réponses au problème que vous évoquez. Et ainsi, par voie de conséquence, indiquez à votre auditoire que vous maîtrisez votre sujet.
- A l’instar de Mme Veil, trouvez le rythme qui sera le plus approprié au sujet de votre prise de parole.
- Parlez avec conviction pour soutenir votre projet.
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